Originaire de Lifou et de Canala, commune où elle grandit auprès de ses oncles maternels, Damaris quitte la Nouvelle-Calédonie une fois son bac en poche après avoir perdu sa maman. Elle s’installe à Nancy pour poursuivre une licence en SVT à l’Université Henri Poincaré, mais perd vite pied, déstabilisée par cette liberté soudaine.
“Du jour au lendemain j’étais seule, loin de tout, je n’avais plus de contraintes et je me suis éparpillée. Après ça, je me suis réorientée vers une licence en gestion, information et documentation à l’IUT Charlemagne mais au bout d’un moment je me suis rendue compte que j’étais fatiguée de l’école classique. Je suis donc entrée dans l’armée de terre.”
Après plusieurs mois de formation, Damaris ressort Sergent de l’école nationale des sous-officiers d’active à Saint Maixent. Elle travaille en tant que cadre de l’armée de Terre dans l’Est de la France pendant cinq ans avant de rentrer au pays.
“J’ai pris cette décision car j’étais enceinte de mon fils et que je ressentais le besoin qu’il naisse en Nouvelle-Calédonie. L’année d’après, j’ai repris le travail et j’ai exercé, à mon compte, en tant que formatrice d’adultes pendant deux ans avant de postuler en tant qu’enseignante à la fédération de l’enseignement libre protestant.”
Les trois années qui suivent, Damaris enseigne en maternelle et s’occupe d’élèves en petite, moyenne et grande section jusqu’au jour où elle découvre sa future vocation.
“J’avais un élève qui avait des difficultés de langages et qui était isolé. J’avais beau différencier les apprentissages je n’arrivais pas à l’aider et quand j’ai fait remonter mes observations, on m’a parlé de l’orthophonie. Après avoir été témoin en direct de la différence que cela pouvait faire, je me suis renseignée sur cette profession et j’ai su de suite que c’était le métier que je voulais faire.”
Ce nouveau projet en tête, Damaris postule au dispositif professionnel de Cadres Avenir, un organisme qu’elle connaît déjà puisque sa maman était l’une des premières bénéficiaires du programme à l’époque où il s’appelait encore 400 cadres.
“Je savais qu’il me fallait un accompagnement pour cette nouvelle aventure et je n’ai pas hésité. Cadres Avenir, nous apporte un soutien et un confort de vie non négligeable et ça nous aide à atteindre nos objectifs. Ma conseillère au pays a été géniale et le reste du suivi l’est tout autant. D’ailleurs, ce qui est fou, c’est que le conseiller de l’Aceste de Toulouse qui a pris le relais une fois que je suis arrivée en Métropole est le même conseiller que j’avais eu en 2006, lors de mes premières études. Il m’avait connu à 18 ans, quand je commençais mon chemin de vie, et on s’est retrouvé là, des années plus tard !”
Mais la reprise d’études n’est pas sans difficultés, notamment car les écoles d’orthophonie ne recrutent plus sur concours mais désormais sur dossier parcours sup. Un nouveau procédé qui s’avère compliqué pour les gens en reconversion, mais qui ne démotive pas Damaris pour autant.
“Accéder à ce cursus, ça n’a pas été facile, j’ai dû le faire en deux temps. La première fois, je n’ai pas réussi mais je ne me suis pas démontée et j’ai demandé à faire une année de prépa pour maximiser mes chances et avoir un dossier parcours sup plus complet. C’était un sacré pari mais j’ai eu beaucoup de chance et j’ai pu intégrer le département d’orthophonie de l’Université de Bretagne occidentale.”
Très vite le départ approche et si Damaris retourne en terre connue, il n’en reste pas moins que quitter la Nouvelle-Calédonie pour la deuxième fois lui pince tout de même le cœur.
“Mon conjoint est lorrain et mon fils est métisse, donc mes attaches sont aux deux endroits mais c’est sûr que c’est toujours plus dur de quitter mon île natale. Après, je sais très bien que reprendre ses études c’est faire des choix et des sacrifices. Au-delà de dire au revoir au pays, ma famille et moi avons également décidé que je viendrais m’installer seule à Brest et qu’ils resteraient en Lorraine. Donc là, je vis en chambre étudiante et à mon âge ça pique! Mais j’ai une grande capacité d’adaptation et je trouve le petit plus dans toute situation !”
Grâce à ce positivisme, Damaris ne perd pas de vue son objectif et se concentre sur l’obtention de son certificat de capacité d’orthophoniste. Il s’agit d’un diplôme de niveau Master qui s’effectue sur cinq ans et doit être validé par un mémoire.
La première année, très théorique, n’est pas des plus simples mais Damaris, préparée par la remise à niveau de Cadres Avenir, se réhabitue bien vite à suivre des cours magistraux et prendre des notes. Dès la deuxième année, elle alterne entre la fac et les stages cliniques et est ainsi plongée dans le vif du sujet.
“J’ai eu la chance de tomber sur des maîtres de stages qui m’ont laissé beaucoup d’autonomie et j’ai pu découvrir un panel de patients avec des problématiques différentes. En fait, en tant qu’orthophoniste, on aide des gens de tous les âges. Ça peut aller du nourrisson avec des fentes palatines aux personnes âgées qui ont des troubles de la déglutition en passant par les enfants qui ont des difficultés d’apprentissages du langage écrit ou oral. C’est à travers ces expériences que je me suis d’autant plus rendue compte de l’importance de ce métier !”
Actuellement en quatrième année, Damaris continue les stages pratiques en cabinet et prépare déjà son mémoire de fin d’études qui portera sur la validation d’un test orthophonique adapté au contexte sociolinguistique calédonien. Pour le réaliser, sa binôme et elle se rendront en Nouvelle-Calédonie à partir de Juillet prochain.
“C’est un projet qui a été proposé par une orthophoniste doctorante qui a déjà bossé dans les îles et lorsque je l’ai lu, je suis tombée des nues ! Ces deux années de Master vont être intenses et enrichissantes et je compte bien en profiter pour récupérer un maximum d’outils pour revenir exercer au pays par la suite.”
Car bien évidemment, après son master, Damaris souhaite revenir travailler en Nouvelle-Calédonie. Elle le sait déjà, le besoin d’orthophoniste y est immense, surtout en province Nord. Mais bien plus que cela, elle sait également l’importance d’une personne qui connait les populations locales et leurs cultures.
“Nous avons une façon de communiquer qui nous est propre, il faut des spécialistes qui comprennent ça et qui l’intègrent! Tout est normé au niveau des bilans d’orthophonies et si on ne prend pas en compte ce vocabulaire propre à chez nous et à notre culture, cela peut mener à des diagnostics en décalage avec la réalité du territoire. Heureusement, nous avons aujourd’hui des praticiens qui font plus attention et qui font des efforts sur ce point, mais c’est aussi pour cela que je prends mon rôle très au sérieux. Je ne sais pas si je suis la première orthophoniste Kanak ou pas, mais ce que je sais, c’est que je suis déterminée à œuvrer pour mon île et les gens qui y vivent.”
Le mot de fin:
Au fil de son parcours, Damaris n’a jamais hésité à se lancer dans de nouvelles aventures qu’importe les sacrifices et la charge de travail que cela implique. A deux ans de la fin de son master, elle hésite d’ailleurs déjà à suivre plus tard un doctorat en psychologie des cognitions. Un projet qu’elle garde pour l’instant sous le coude, le temps de se faire de l’expérience auprès des populations océaniennes. Ce qui est certain c’est que cette ambition et cette soif d’apprendre qui la caractérisent ne sont pas prêtes de s’essouffler.
“Pour moi, il n’est jamais trop tard pour oser faire ce qu’on aime. Je marche beaucoup avec mon cœur et quand tu ressens en toi que c’est le bon moment, le bon chemin, il faut se faire confiance, il faut foncer! Nous n’avons qu’une seule vie, il faut faire d’elle ce que l’on souhaite.”